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                       Chapitre 
                        I. LA PRESSE ECRITE EN BELGIQUE |  Préambule 
                 Dans 
                cette section, nous nous intéressons à la place 
                qu'occupent les caricaturistes dans la presse belge francophone 
                quotidienne actuelle. Dans un premier temps, et afin de situer 
                le contexte, il est question, brièvement, de l'état 
                de cette presse et des causes majeures - spécifiquement 
                belges - de son faible attrait pour les dessinateurs. Dans un 
                second temps, nous brossons un rapide tableau de la presse régionale, 
                particulièrement importante en Belgique par rapport à 
                la presse nationale, et de son rapport au dessin de presse. Enfin, 
                nous nous concentrons sur l'importance accordée aux dessinateurs 
                de presse dans chacun des quatre quotidiens nationaux.  §1. 
                Un marché en régressionAfin 
                de dresser l'état de santé de la presse en Belgique, 
                nous allons adopter deux critères: le nombre d'entreprises 
                actives dans ce secteur et l'évolution de leur production 
                au cours de ces dernières décennies. En ce qui concerne 
                le nombre de journaux en Belgique, nous assistons à un 
                net déclin. Ainsi, selon le dénombrement effectué 
                par Jean Gol, la presse quotidienne passa de 82 titres en 1945 
                à 42 titres en 1969(1). Actuellement, l'on compte 32 titres(2) 
                par rapport à 92 titres en 1898, soit une perte moyenne 
                de plus d'un quotidien tous les deux ans. Les journaux qui disparaissent 
                ne sont pas remplacés et les tentatives de lancement de 
                nouvelles publications, dont les plus significatives ont lieu 
                après la libération de septembre 1944, sont quelquefois 
                aussi fulgurantes que brèves et sans lendemain(3). Mis 
                à part Le Progrès, 1962, titre porté avant 
                la guerre par Le Journal de Mons, mais repris par l'édition 
                namuroise de La Nouvelle Gazette, Le Drapeau Rouge(1944(4)-1990) 
                et La Cité (1950-1995) sont les seuls quotidiens de l'après-guerre 
                qui parviennent à intéresser durant plusieurs décennies 
                les lecteurs belges, qualifiés par le journaliste Delforge 
                de "routiniers et méfiants des nouveautés", 
                doués d'une "admirable fidélité"(5). 
                Quant aux tirages, un examen de leur évolution révèle 
                le même phénomène de déclin. Particulièrement 
                déploré aujourd'hui, il n'est pas du tout récent. 
                Si l'on se réfère aux données divulguées 
                par l'Association Belge des Editeurs de Journaux (ABEJ), la baisse 
                des tirages s'avère constante depuis plusieurs décennies. 
                Ce qui laisse sous-entendre que la diminution n'en a été 
                que plus importante dans les chiffres réels de diffusion 
                (6). Le graphique ci-dessous nous montre la tendance depuis 1960, 
                laquelle n'est que le prolongement, étudié au niveau 
                local, d'un déclin général amorcé 
                dans l'entre-deux-guerres dans l'ensemble des pays industrialisés.
 Nous sommes d'avis que ces deux critères (l'évolution 
                des titres et des tirages) suffisent à donner une idée 
                de la situation dans laquelle se trouve la presse écrite 
                belge, du moins par rapport à celle du début du 
                siècle, alors même que le dessin de presse venait 
                de faire son entrée dans les grands quotidiens et que les 
                journaux satiriques foisonnaient. Pour plus de précision, 
                nous devrions prendre en compte les phénomènes de 
                synergies et de concentration des entreprises éditrices, 
                ou encore nous référer à l'évolution 
                du recours à la publicité ou du budget communautaire 
                d'aide à la presse
 Mais en fait, ces données 
                tendraient à prouver qu'il ne s'agit que d'initiatives 
                visant à enrayer la "spirale descendante"(7) 
                dans laquelle est prise la presse écrite depuis l'entre-deux-guerres: 
                les investisseurs (publicité, organisations politiques 
                et syndicales,
) sont de moins en moins attirés par 
                la presse à faible diffusion; or, la réduction du 
                budget se répercute sur sa qualité de l'information, 
                ce qui se traduit par une baisse du lectorat. Dès lors, 
                sous peine de disparaître, et après une période 
                de "survie", les organes de presse sont contraints d'entrer 
                dans une autre spirale, celle des concentrations.
 Lorsque l'on replace son évolution dans le contexte européen, 
                l'on se rend vite compte que le marasme qui affecte la presse 
                écrite en Belgique n'est pas un phénomène 
                isolé. On peut toujours mettre en avant la naissance récente 
                de titres vigoureux et prospères comme La 
                Republica en Italie, El 
                Pais ou El Mundo en 
                Espagne et rappeler la boulimie des pays du Nord de l'Europe en 
                matière de presse écrite
 Mais cela ne suffirait 
                pas à infirmer le "malaise actuel de la profession"(8) 
                qui affecte la plupart des pays occidentaux et dont les symptômes 
                sont: "les affaires et les crises internes (
), les 
                disparitions récentes de plusieurs grands journaux, les 
                alliances et les rachats parfois inattendus, (
), le désenchantement 
                des journalistes, etc.(9) " En Belgique francophone toutefois, 
                cette régression généralisée se greffe 
                sur un marché réduit (4,5 millions d'habitants en 
                Communauté française, crise économique, "un 
                certain manque d'intérêt pour la lecture"(10), 
                etc.) et souffrant de plusieurs faiblesses: "une certaine 
                médiocrité, une concentration excessive et la concurrence 
                de la presse française."(11)
 1)Gol, Jean, 
                Le monde de la presse en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1970, 
                p.121.
 2)Selon FREITERMUTH, Guy, Mémento des médias 
                1998, éd.Kluwer, Diegem, 1997, pp. 93-94. Ce chiffre 
                varie si l'on considère comme "titres" à 
                part entière les variantes régionales d'un journal. 
                Selon l'émission télévisée "Contrepied" 
                consacrée à la naissance du Matin, RTBF du 24 mars 
                1998, la Belgique compte 38 titres.
 3)Quelques exemples (à titre indicatif): Liberté 
                (quelques jours en 1944 puis, dans une deuxième formule, 
                d'octobre 1945 à avril 1946), L'Eclair (de novembre 1945 
                à mars 1946), L'Occident (de février à décembre 
                1946) ou Le Phare (de décembre 1946 à janvier 1949).
 4)Crée en 1921, Le Drapeau Rouge avait cessé de 
                paraître.
 (5)DELFORGE, M, Physiologie de la presse belge, in 
                Industries, mai 1951, cité dans Coupures de presse - 
                Disparition de La Cité et survie des médias d'opinion, 
                par l'Observatoire du récit médiatique, coll. "Médias 
                et société", éd. Academia Bruylant Frédéric 
                Antoine, Louvain-la-Neuve, 1996, p.281.
 (6)L'étude des tirages est rendue difficile par le fait 
                que les éditeurs tiennent secrets les chiffres de diffusion 
                payante. Et l'on ignore pas que le tirage officiel est souvent 
                "gonflé" par rapport au tirage effectif. Ce nombre 
                est, a fortiori, de loin supérieur aux journaux réellement 
                achetés. (7) in Bulletin hebdomadaire de la Kredietbank, 
                in GOL, op.cit., p.106.
 (8)WATINE, Thierry, Journaliste: une profession en quête 
                d'utilité sociale, in Les Cahiers du journalisme, 
                n°2, décembre 1996, éd. du CFPJ, Paris, p35.
 (9)WATINE, 
                ibidem.
 (10)SIMON, Christine, "Le Matin" vise un public jeune, 
                intellectuel et urbain, in Le Soir, 25 mars 1998, p.5.
 (11)in Libération, cité par SIMON, ididem.
 
 
 §2. Et la caricature dans tout ça?
 
 
                A).Un 
                  climat moins favorableComme 
                  nous venons de le voir, la presse écrite est loin de 
                  "l'âge d'or" de l'immédiat avant-guerre 
                  1914-1918. Son déclin s'est amorcé avec l'arrivée 
                  d'autres moyens de communication comme la radio et, surtout, 
                  la télévision (plus récemment, le Télétexte 
                  et l'Internet). Comme le dit Guy Bohère, "la lumière 
                  chasse le plomb"(1). Quant au dessin de presse, il rencontre 
                  également la concurrence de la photographie mais l'impact 
                  de celle-ci semble se répercuter davantage sur le style 
                  graphique - naguère, le dessin devait aussi être 
                  figuratif - que sur sa fréquence d'utilisation. En fait, 
                  si l'on s'en souvient, la "grande période de la 
                  presse écrite" est essentiellement celle de la presse 
                  d'opinion (presse satirique incluse), qui faisait un grand usage 
                  de la caricature. Avec le rétrécissement du marché, 
                  la partition idéologique qui caractérise cette 
                  presse commence à s'estomper. Sans disparaître, 
                  bien évidemment: en 1970, Jean Gol remarque que "la 
                  division politique de la presse est beaucoup plus grande que 
                  dans les pays voisins. Il y a peu de quotidiens neutres en Belgique"(2). 
                  Mais il précise plus loin que "de nombreux journaux 
                  libéraux et catholiques, catalogués de la sorte 
                  par tradition, sont tentés d'opérer la mutation 
                  qui les ferait passer eux aussi dans la catégorie des 
                  neutres.(3) " Postés en première ligne, les 
                  dessinateurs n'ont d'autre choix que de suivre ce mouvement 
                  descendant, orienté vers le "centre". Quelques 
                  journaux très marqués politiquement conserveront 
                  leurs dessinateurs attitrés (La Cité, Le Drapeau 
                  Rouge et surtout Pourquoi-Pas?), tandis que la presse satirique 
                  disparaîtra, à l'exception de l'hebdomadaire Pan 
                  qui emploie toujours deux dessinateurs. Le résultat de la détérioration de la conjoncture 
                  économique dans le monde de la presse belge est double 
                  et se fait ressentir au niveau du dessin de presse. D'une part, 
                  la configuration de la presse régionale est sans cesse 
                  remodelée, afin de permettre aux organes de presse de 
                  rester compétitifs. Son nouveau visage, très changeant, 
                  n'est d'ailleurs pas sans opposition à celui de l'ancienne 
                  presse, qui fournissait un cadre idéal pour la caricature: 
                  alors qu'à la fin du XIXème siècle, les 
                  journaux, même au niveau local, se livraient à 
                  de véritables combats politiques (notamment avant des 
                  élections(4)), ceux d'aujourd'hui passent des accords 
                  de "coopération rédactionnelle" et de 
                  "coopération publicitaire", de "non-concurrence". 
                  D'autre part, si la presse nationale actuelle s'articule toujours 
                  autour du schéma politique (socialistes, catholiques, 
                  centristes et libéraux), elle se présente comme 
                  une version édulcorée, assagie, de son ascendante. 
                  Dépendant d'un lectorat de plus en plus méfiant 
                  à l'égard des idéologies, désintéressé 
                  par la politique et disparaissant (de mort naturelle), le marché 
                  belge est désormais trop restreint pour permettre à 
                  une presse d'opinion de prospérer. D'où cette 
                  "neutralisation", dictée par la nécessité 
                  de ne pas limiter son lectorat au nombre des individus de même 
                  obédience, autrement dit, de "ratisser large"..
 (1)BOHERE, 
                  Guy, Profession: journaliste. Etude sur la condition du journaliste 
                  en tant que travailleur, éd. du Bureau International 
                  du Travail de Genève, Genève, 1984, p.47.
 (2)GOL, op.cit., p.21.
 (3)GOL, op.cit., p.51. (4)A ce sujet, voir La caricature 
                  en Wallonie 1789-1918, éd. du Musée de la 
                  Vie Wallonne, Liège, 1983, pp. 5-7.
  
                  B) AsepsieDans 
                  ce contexte, la seule caricature capable de subsister est une 
                  caricature qui ne révèle pas trop d'engagement 
                  politique - mais éviter l'excès dans une caricature 
                  politique est difficile, puisqu'il s'agit d'une "caricature" 
                  -, inoffensive, aseptisée. A contrario, un dessin politique 
                  trop engagé, fût-il bon, n'intéressera peut-être 
                  qu'une minorité de lecteurs, deviendra ésotérique 
                  pour les autres ou leur paraîtra d'un autre âge. 
                  Fabrice Jacquemart rappelle à juste titre que "il 
                  y a un petit côté "intello" dans le dessin
 
                  Daumier ne faisait pas des caricatures pour tout le monde, mais 
                  pour un certain public. Comprendre un dessin, cela relève 
                  déjà d'une démarche d'initié." 
                  Dès lors, un journal ne peut accorder trop de place à 
                  un dessin qui est d'office vu par tous les lecteurs mais qui 
                  ne plairait qu'à certains, en déplaisant éventuellement 
                  à d'autres. A cela s'ajoute la rémunération 
                  du dessinateur, lequel, en outre, occupe l'espace publicitaire 
                  potentiel. Ces conditions réunies ajoutées au 
                  contexte économique difficile, on comprend la relative 
                  "frilosité" de la presse belge (au plutôt 
                  francophone) en matière de dessin de presse. Mais, comme 
                  nous allons le voir, certains signes laissent présager 
                  un regain d'intérêt. Si nous nous permettons de parler de "frilosité" 
                  de la presse belge francophone en matière de dessin de 
                  presse, c'est suite à deux réflexions:
 Tout d'abord, l'ensemble de nos interlocuteurs avancent que 
                  les caricaturistes français et flamands "vont plus 
                  loin": ils sont plus engagés, plus politiques, plus 
                  caustiques, etc. Nous constatons que plusieurs rédacteurs 
                  en chef avec qui nous avons conversé (notamment des rédacteurs 
                  de la presse régionale, contactés par téléphone) 
                  se disent intéressés par les dessins mais affirment 
                  que l'on ne trouve pas, en Wallonie, de "bon dessinateur" 
                  politique, au sens ou nous l'avons décrit dans la partie 
                  II (chapitre II, §2) . Ils donnent pour preuve les nombreuses 
                  caricatures que les rédactions reçoivent régulièrement: 
                  elles sont médiocres, tant au niveau des idées, 
                  qu'au niveau de la forme
 Autrement dit, la "faiblesse" 
                  du dessin de presse en Belgique serait due aux dessinateurs 
                  de presse. Or, il nous semble que cet argument dissimule un 
                  simple désintérêt pour la chose, car - sans 
                  mettre en doute les facultés de jugement de qui que ce 
                  soit - combien sont les photographies médiocres, les 
                  articles médiocres, et parfois même les dessins 
                  médiocres qui sont finalement publiés?
 Un deuxième constat repose sur les affirmations des dessinateurs 
                  eux-mêmes. Ceux-ci saluent l'engagement de la plupart 
                  des caricaturistes français (et flamands lorsqu'ils les 
                  connaissent) qu'ils n'attribuent pas systématiquement 
                  et uniquement à plus de souplesse de la part des médias. 
                  Mais, la plupart de nos dessinateurs avouent avoir dû 
                  "mettre de l'eau dans leur vin" et nous avons peine 
                  à croire que leurs premiers dessins aient étés 
                  poujadistes. Et nous ne parlons pas ici de l'autocensure, que 
                  tous les dessinateurs pratiquent.
 Ceci tend à prouver que, malgré leur prétendue 
                  recherche de "bon dessinateurs politiques", les rédactions 
                  se montrent prudentes - marché oblige
- quant à 
                  la marge de manuvre à leur accorder. Il est également 
                  surprenant d'entendre les rédacteurs en chef se dire 
                  "prêt à accorder une place à un dessinateur 
                  - "ce que je sens, dit Fabrice Jacquemart, c'est que tout 
                  le monde veut en avoir un" - alors que l'on sait combien 
                  l'offre est abondante: (pour la presse nationale) "Environ 
                  une proposition par semaine, de la part d'un illustrateur différent" 
                  (Jean-Paul Duchâteau), "Environ une tous les quinze 
                  jours" (Guy Duplat), "Moins de une par mois" 
                  (Michel Marteau). Les jeunes illustrateurs, déplore-t-on, 
                  sont si peu intéressés par l'actualité 
                  et par la politique
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