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Le site d'Aster, dessinateur humoristique pour la presse d'entreprise


Le dessin et la caricature dans la presse
au travers d'une étude du
Rôle social et de la fonction journalistique des dessinateurs dans la presse quotidienne nationale en Communauté française de Belgique.


Mémoire de fin d'étude de Jean-Philippe Legrand, alias dessinateur Aster
,
présenté en vue de l'obtention du grade de Licencié en Information et Communication présenté à l'Université de Liège en 1998.

Historique de la caricature
La profession de dessinateur
Les dessinateurs dans la presse belge
Utilité et fonction


Partie III : Les caricaturistes dans la presse belge

Chapitre I. LA PRESSE ECRITE EN BELGIQUE

Préambule Dans cette section, nous nous intéressons à la place qu'occupent les caricaturistes dans la presse belge francophone quotidienne actuelle. Dans un premier temps, et afin de situer le contexte, il est question, brièvement, de l'état de cette presse et des causes majeures - spécifiquement belges - de son faible attrait pour les dessinateurs. Dans un second temps, nous brossons un rapide tableau de la presse régionale, particulièrement importante en Belgique par rapport à la presse nationale, et de son rapport au dessin de presse. Enfin, nous nous concentrons sur l'importance accordée aux dessinateurs de presse dans chacun des quatre quotidiens nationaux.

§1. Un marché en régression

Afin de dresser l'état de santé de la presse en Belgique, nous allons adopter deux critères: le nombre d'entreprises actives dans ce secteur et l'évolution de leur production au cours de ces dernières décennies. En ce qui concerne le nombre de journaux en Belgique, nous assistons à un net déclin. Ainsi, selon le dénombrement effectué par Jean Gol, la presse quotidienne passa de 82 titres en 1945 à 42 titres en 1969(1). Actuellement, l'on compte 32 titres(2) par rapport à 92 titres en 1898, soit une perte moyenne de plus d'un quotidien tous les deux ans. Les journaux qui disparaissent ne sont pas remplacés et les tentatives de lancement de nouvelles publications, dont les plus significatives ont lieu après la libération de septembre 1944, sont quelquefois aussi fulgurantes que brèves et sans lendemain(3). Mis à part Le Progrès, 1962, titre porté avant la guerre par Le Journal de Mons, mais repris par l'édition namuroise de La Nouvelle Gazette, Le Drapeau Rouge(1944(4)-1990) et La Cité (1950-1995) sont les seuls quotidiens de l'après-guerre qui parviennent à intéresser durant plusieurs décennies les lecteurs belges, qualifiés par le journaliste Delforge de "routiniers et méfiants des nouveautés", doués d'une "admirable fidélité"(5).
Quant aux tirages, un examen de leur évolution révèle le même phénomène de déclin. Particulièrement déploré aujourd'hui, il n'est pas du tout récent. Si l'on se réfère aux données divulguées par l'Association Belge des Editeurs de Journaux (ABEJ), la baisse des tirages s'avère constante depuis plusieurs décennies. Ce qui laisse sous-entendre que la diminution n'en a été que plus importante dans les chiffres réels de diffusion (6). Le graphique ci-dessous nous montre la tendance depuis 1960, laquelle n'est que le prolongement, étudié au niveau local, d'un déclin général amorcé dans l'entre-deux-guerres dans l'ensemble des pays industrialisés.
Nous sommes d'avis que ces deux critères (l'évolution des titres et des tirages) suffisent à donner une idée de la situation dans laquelle se trouve la presse écrite belge, du moins par rapport à celle du début du siècle, alors même que le dessin de presse venait de faire son entrée dans les grands quotidiens et que les journaux satiriques foisonnaient. Pour plus de précision, nous devrions prendre en compte les phénomènes de synergies et de concentration des entreprises éditrices, ou encore nous référer à l'évolution du recours à la publicité ou du budget communautaire d'aide à la presse… Mais en fait, ces données tendraient à prouver qu'il ne s'agit que d'initiatives visant à enrayer la "spirale descendante"(7) dans laquelle est prise la presse écrite depuis l'entre-deux-guerres: les investisseurs (publicité, organisations politiques et syndicales,…) sont de moins en moins attirés par la presse à faible diffusion; or, la réduction du budget se répercute sur sa qualité de l'information, ce qui se traduit par une baisse du lectorat. Dès lors, sous peine de disparaître, et après une période de "survie", les organes de presse sont contraints d'entrer dans une autre spirale, celle des concentrations.
Lorsque l'on replace son évolution dans le contexte européen, l'on se rend vite compte que le marasme qui affecte la presse écrite en Belgique n'est pas un phénomène isolé. On peut toujours mettre en avant la naissance récente de titres vigoureux et prospères comme La Republica en Italie, El Pais ou El Mundo en Espagne et rappeler la boulimie des pays du Nord de l'Europe en matière de presse écrite… Mais cela ne suffirait pas à infirmer le "malaise actuel de la profession"(8) qui affecte la plupart des pays occidentaux et dont les symptômes sont: "les affaires et les crises internes (…), les disparitions récentes de plusieurs grands journaux, les alliances et les rachats parfois inattendus, (…), le désenchantement des journalistes, etc.(9) " En Belgique francophone toutefois, cette régression généralisée se greffe sur un marché réduit (4,5 millions d'habitants en Communauté française, crise économique, "un certain manque d'intérêt pour la lecture"(10), etc.) et souffrant de plusieurs faiblesses: "une certaine médiocrité, une concentration excessive et la concurrence de la presse française."(11)

1)Gol, Jean, Le monde de la presse en Belgique, CRISP, Bruxelles, 1970, p.121.
2)Selon FREITERMUTH, Guy, Mémento des médias 1998, éd.Kluwer, Diegem, 1997, pp. 93-94. Ce chiffre varie si l'on considère comme "titres" à part entière les variantes régionales d'un journal. Selon l'émission télévisée "Contrepied" consacrée à la naissance du Matin, RTBF du 24 mars 1998, la Belgique compte 38 titres.
3)Quelques exemples (à titre indicatif): Liberté (quelques jours en 1944 puis, dans une deuxième formule, d'octobre 1945 à avril 1946), L'Eclair (de novembre 1945 à mars 1946), L'Occident (de février à décembre 1946) ou Le Phare (de décembre 1946 à janvier 1949).
4)Crée en 1921, Le Drapeau Rouge avait cessé de paraître.
(5)DELFORGE, M, Physiologie de la presse belge, in Industries, mai 1951, cité dans Coupures de presse - Disparition de La Cité et survie des médias d'opinion, par l'Observatoire du récit médiatique, coll. "Médias et société", éd. Academia Bruylant Frédéric Antoine, Louvain-la-Neuve, 1996, p.281.
(6)L'étude des tirages est rendue difficile par le fait que les éditeurs tiennent secrets les chiffres de diffusion payante. Et l'on ignore pas que le tirage officiel est souvent "gonflé" par rapport au tirage effectif. Ce nombre est, a fortiori, de loin supérieur aux journaux réellement achetés. (7) in Bulletin hebdomadaire de la Kredietbank, in GOL, op.cit., p.106.
(8)WATINE, Thierry, Journaliste: une profession en quête d'utilité sociale, in Les Cahiers du journalisme, n°2, décembre 1996, éd. du CFPJ, Paris, p35.
(9)WATINE, ibidem.
(10)SIMON, Christine, "Le Matin" vise un public jeune, intellectuel et urbain, in Le Soir, 25 mars 1998, p.5.
(11)in Libération, cité par SIMON, ididem.


§2. Et la caricature dans tout ça?

 

A).Un climat moins favorable

Comme nous venons de le voir, la presse écrite est loin de "l'âge d'or" de l'immédiat avant-guerre 1914-1918. Son déclin s'est amorcé avec l'arrivée d'autres moyens de communication comme la radio et, surtout, la télévision (plus récemment, le Télétexte et l'Internet). Comme le dit Guy Bohère, "la lumière chasse le plomb"(1). Quant au dessin de presse, il rencontre également la concurrence de la photographie mais l'impact de celle-ci semble se répercuter davantage sur le style graphique - naguère, le dessin devait aussi être figuratif - que sur sa fréquence d'utilisation. En fait, si l'on s'en souvient, la "grande période de la presse écrite" est essentiellement celle de la presse d'opinion (presse satirique incluse), qui faisait un grand usage de la caricature. Avec le rétrécissement du marché, la partition idéologique qui caractérise cette presse commence à s'estomper. Sans disparaître, bien évidemment: en 1970, Jean Gol remarque que "la division politique de la presse est beaucoup plus grande que dans les pays voisins. Il y a peu de quotidiens neutres en Belgique"(2). Mais il précise plus loin que "de nombreux journaux libéraux et catholiques, catalogués de la sorte par tradition, sont tentés d'opérer la mutation qui les ferait passer eux aussi dans la catégorie des neutres.(3) " Postés en première ligne, les dessinateurs n'ont d'autre choix que de suivre ce mouvement descendant, orienté vers le "centre". Quelques journaux très marqués politiquement conserveront leurs dessinateurs attitrés (La Cité, Le Drapeau Rouge et surtout Pourquoi-Pas?), tandis que la presse satirique disparaîtra, à l'exception de l'hebdomadaire Pan qui emploie toujours deux dessinateurs.
Le résultat de la détérioration de la conjoncture économique dans le monde de la presse belge est double et se fait ressentir au niveau du dessin de presse. D'une part, la configuration de la presse régionale est sans cesse remodelée, afin de permettre aux organes de presse de rester compétitifs. Son nouveau visage, très changeant, n'est d'ailleurs pas sans opposition à celui de l'ancienne presse, qui fournissait un cadre idéal pour la caricature: alors qu'à la fin du XIXème siècle, les journaux, même au niveau local, se livraient à de véritables combats politiques (notamment avant des élections(4)), ceux d'aujourd'hui passent des accords de "coopération rédactionnelle" et de "coopération publicitaire", de "non-concurrence". D'autre part, si la presse nationale actuelle s'articule toujours autour du schéma politique (socialistes, catholiques, centristes et libéraux), elle se présente comme une version édulcorée, assagie, de son ascendante. Dépendant d'un lectorat de plus en plus méfiant à l'égard des idéologies, désintéressé par la politique et disparaissant (de mort naturelle), le marché belge est désormais trop restreint pour permettre à une presse d'opinion de prospérer. D'où cette "neutralisation", dictée par la nécessité de ne pas limiter son lectorat au nombre des individus de même obédience, autrement dit, de "ratisser large"..

(1)BOHERE, Guy, Profession: journaliste. Etude sur la condition du journaliste en tant que travailleur, éd. du Bureau International du Travail de Genève, Genève, 1984, p.47.
(2)GOL, op.cit., p.21.
(3)GOL, op.cit., p.51. (4)A ce sujet, voir La caricature en Wallonie 1789-1918, éd. du Musée de la Vie Wallonne, Liège, 1983, pp. 5-7.

B) Asepsie

Dans ce contexte, la seule caricature capable de subsister est une caricature qui ne révèle pas trop d'engagement politique - mais éviter l'excès dans une caricature politique est difficile, puisqu'il s'agit d'une "caricature" -, inoffensive, aseptisée. A contrario, un dessin politique trop engagé, fût-il bon, n'intéressera peut-être qu'une minorité de lecteurs, deviendra ésotérique pour les autres ou leur paraîtra d'un autre âge. Fabrice Jacquemart rappelle à juste titre que "il y a un petit côté "intello" dans le dessin… Daumier ne faisait pas des caricatures pour tout le monde, mais pour un certain public. Comprendre un dessin, cela relève déjà d'une démarche d'initié." Dès lors, un journal ne peut accorder trop de place à un dessin qui est d'office vu par tous les lecteurs mais qui ne plairait qu'à certains, en déplaisant éventuellement à d'autres. A cela s'ajoute la rémunération du dessinateur, lequel, en outre, occupe l'espace publicitaire potentiel. Ces conditions réunies ajoutées au contexte économique difficile, on comprend la relative "frilosité" de la presse belge (au plutôt francophone) en matière de dessin de presse. Mais, comme nous allons le voir, certains signes laissent présager un regain d'intérêt.
Si nous nous permettons de parler de "frilosité" de la presse belge francophone en matière de dessin de presse, c'est suite à deux réflexions:
Tout d'abord, l'ensemble de nos interlocuteurs avancent que les caricaturistes français et flamands "vont plus loin": ils sont plus engagés, plus politiques, plus caustiques, etc. Nous constatons que plusieurs rédacteurs en chef avec qui nous avons conversé (notamment des rédacteurs de la presse régionale, contactés par téléphone) se disent intéressés par les dessins mais affirment que l'on ne trouve pas, en Wallonie, de "bon dessinateur" politique, au sens ou nous l'avons décrit dans la partie II (chapitre II, §2) . Ils donnent pour preuve les nombreuses caricatures que les rédactions reçoivent régulièrement: elles sont médiocres, tant au niveau des idées, qu'au niveau de la forme… Autrement dit, la "faiblesse" du dessin de presse en Belgique serait due aux dessinateurs de presse. Or, il nous semble que cet argument dissimule un simple désintérêt pour la chose, car - sans mettre en doute les facultés de jugement de qui que ce soit - combien sont les photographies médiocres, les articles médiocres, et parfois même les dessins médiocres qui sont finalement publiés?
Un deuxième constat repose sur les affirmations des dessinateurs eux-mêmes. Ceux-ci saluent l'engagement de la plupart des caricaturistes français (et flamands lorsqu'ils les connaissent) qu'ils n'attribuent pas systématiquement et uniquement à plus de souplesse de la part des médias. Mais, la plupart de nos dessinateurs avouent avoir dû "mettre de l'eau dans leur vin" et nous avons peine à croire que leurs premiers dessins aient étés poujadistes. Et nous ne parlons pas ici de l'autocensure, que tous les dessinateurs pratiquent.
Ceci tend à prouver que, malgré leur prétendue recherche de "bon dessinateurs politiques", les rédactions se montrent prudentes - marché oblige…- quant à la marge de manœuvre à leur accorder. Il est également surprenant d'entendre les rédacteurs en chef se dire "prêt à accorder une place à un dessinateur - "ce que je sens, dit Fabrice Jacquemart, c'est que tout le monde veut en avoir un" - alors que l'on sait combien l'offre est abondante: (pour la presse nationale) "Environ une proposition par semaine, de la part d'un illustrateur différent" (Jean-Paul Duchâteau), "Environ une tous les quinze jours" (Guy Duplat), "Moins de une par mois" (Michel Marteau). Les jeunes illustrateurs, déplore-t-on, sont si peu intéressés par l'actualité et par la politique…

***

feutre noir : "Aster" - (Jean-Philippe Legrand) - Cartooniste/dessinateur freelance depuis1999, Licencié en Journalisme - Prestations internationales.
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