Chapitre
I. GENESE DE LA CARICATURE DE PRESSE
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Préambule
Une
histoire de la caricature de presse ici pour objectif de nous
faire mieux apprécier la place que tiennent aujourd'hui
ses représentants
dans l'univers médiatique belge francophone, par rapport
à leurs prédécesseurs, ainsi que de présenter
en quoi consistèrent ses premières
applications. Nous n'allons pas nous
étendre sur l'évolution des procédés
ironiques et graphiques car, à ce niveau, les amalgames
avec d'autres domaines de création tels que le pamphlet
en images, la peinture, la bande dessinée ou les arts du
spectacle sont nombreux
et mériteraient
d'être développés. Par contre, nous avons
tenu à focaliser notre regard sur les principaux protagonistes
ainsi que sur les organes de presse
qui les ont employés ou les emploient toujours. Comme dans
toute démarche historique, nous nous intéresserons
également aux événements dont ils ont été
les observateurs.
Dans cette entreprise, la caricature française tient une
position relativement importante. Ceci pouvant paraître
quelque peu hors propos, nous sommes amenés à avancer
les trois raisons principales de
ce détour au pays de Marianne
et d'Anastasie (1).
Tout d'abord, les ouvrages consacrés à l'évolution
de la caricature de presse en France sont abondants, ce qui n'est
malheureusement pas le cas pour la
Belgique, a fortiori francophone. Dès lors, pourquoi ne
pas nous remémorer ce que l'Histoire a retenu comme les
"classiques" du genre?
Ensuite, si la Belgique s'est montrée relativement autonome
dans ce domaine et ce, depuis bien avant 1830, on ne peut occulter
la double influence française sur les productions de nos
compatriotes. D'une part, il s'agit d'une influence indirecte,
qui transparaît dans un certain nombre de thèmes
abordés dans les caricatures et qu'il faut attribuer à
un impérialisme culturel exercé par la France au
fil des décennies. Ainsi, les progrès techniques,
la production artistique, la mode, etc. venus de France n'ont
pas été sans effet sur la société
belge dépeinte par nos caricaturistes. D'autre part, on
constate une influence directe que l'on pourrait appeler filiation
ou "discipularité" et qui se remarque au niveau
des codes graphiques. De Daumier
à Plantu,
les caricaturistes français ont fasciné des générations
d'illustrateurs, y compris leurs contemporains belges pour qui
le couronnement était - aurait été ou serait
- de "parvenir à placer leurs dessins" dans un
journal (satirique) français. Au XIXème siècle,
un des meilleurs moyens de s'assurer une certaine renommée
consistait d'ailleurs à passer plusieurs années
à Paris, comme Félicien
Rops et Armand
Rassenfosse, ou d'y rester, comme Jules
Renard(2). L'exemple le plus marquant du rayonnement français
est sans doute l'influence de la génération Hara-Kiri/Charlie-Hebdo,
"l'événement journalistique des années
soixante" selon Françoise
Giroud (3), non seulement sur nos dessinateurs mais aussi
sur les organes de presse et de télévision habilités
à fixer les modalités de leurs collaborations, en
ce compris la liberté de ton.
Et enfin, l'exemple français se révèle instructif
sur le rapport de la caricature de presse à l'actualité
politique, sociale ou juridique. En effet, en observant comment,
en France, la presse satirique illustrée réagit
face à diverses situations (telles que la censure politique
ou la libéralisation de l'expression, les temps de guerre
ou les temps de crise interne, un changement de régime,
etc.), l'on parvient à dégager des caractéristiques
inhérentes au dessin de presse. Quoique relativement intuitives,
ces variables structurelles permettent de se figurer le comportement,
dans un contexte donné, de cette forme d'expression identique
en France et en Belgique. Or, les ouvrages sur le dessin de presse
en Belgique ressemblent plutôt à des manuels illustrés
d'histoire nationale. En conséquence, c'est afin de pouvoir
traiter cet ensemble de données conjoncturelles qu'il convient
d'appliquer les propriétés quasi permanentes du
dessin de presse, et donc de débuter par l'étude
du modèle français.
1) Symbolisant respectivement la France et, par
ses ciseaux, la Censure.
2) Alias "Draner". A ne pas confondre avec Jules Renard,
l'écrivain français auteur de Poil de carotte.
3) Françoise Giroud citée par DAUBERT, Patrick et
VASSEUR, Didier, Trimédia Spécial Dessin politique,
in Trimédia, n°16-17, été-automne,
éd. de l'Ecole Supérieure de Journalisme, Lille,
1982, p.34.
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Chapitre
I. GENESE DU DESSIN DE PRESSE
Déterminer
quelle époque et quelle contrée ont vu naître
les premiers dessinateurs de presse n'est pas chose aisée.
D'autant plus que, dans son acception actuelle, le "dessin
de presse" réfère à une réalité
pour le moins très différente de ce qu'on lui offre
habituellement comme ancêtre. Loin de n'être que pure
"illustration", le dessin de presse actuel intègre
plusieurs dimensions dont on ne peut, dans une démarche
historique rigoureuse, exclure ni la genèse, ni le développement.
L'esprit de contestation dont il est imprégné, l'humour
à la fois dénonciateur et exorcisant qu'il distille,
le public auquel il s'adresse et enfin les différentes
techniques de réalisation, de reproduction et de diffusion
sont autant de caractéristiques indissociables de sa forme
imagée. Cette précision faite, nous tenterons de
considérer ces autres paramètres, sans accorder
de primauté à la forme du dessin. Ainsi, remonter
aux graffitis de l'Antiquité (1) grecque et romaine, voire
à l'Egypte et ses fameux animaux satiriques sur papyrus
(2) , est une démarche habituelle intéressante et
pleine de curiosités mais inappropriée au dessin
d'actualité qui ne se réduit pas à la simple
représentation d'un personnage. En fait, ce n'est réellement
qu'à partir de 1830 (année de la Révolution
des journalistes suivie de la Révolution
belge) que l'on peut parler de "dessin de presse",
puisque ce n'est qu'à cette époque qu'il accompagne
l'information écrite sur un seul et même support.
Il possède alors toutes les caractéristiques acquises
dans ses étapes antérieures. Il constitue par ailleurs
une forme relativement "aboutie" et très proche,
voire supérieure, à ce que nous entendons aujourd'hui
par "dessin de presse".
1) COURTOIS, Luc et PIROTTE, Jean, Images de
la Wallonie dans le dessin de presse (1910, 1961), éd.
François Humblet, Louvain-la-Neuve, 1993, p.6.
2) RAGON, Michel, Le dessin d'humour. Histoire de la caricature
et du dessin d'humour en France, Seuil, Paris, 1992., p19.
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§1.
Le dessin satirique
Si
l'animalisation (1) est assurément une des techniques
les plus anciennes et les plus universellement utilisées
dans les représentations - songeons aux mythologies -,
ce n'est qu'au début du Moyen-Age, qu'elle sera pratiquée
de façon systématique et engagée. Dans une
société déjà encline aux superstitions
et au surnaturel, un Christianisme en plein essor déverse
une imagerie dualiste faite d'ânes, de boucs, singes et
porcs symbolisant et stigmatisant les vices de l'homme. Et tandis
que les livres se peuplent de personnages fantasmagoriques, la
satire s'éveille au grand dam des moines, chevaliers, prélats
et médecins. Cependant, les livres étant peu répandus
à cette époque, les détenteurs de la vraie
satire, écho du "bon sens populaire", restent
les bouffons
et les ménestrels.
A la fin du XIIIème siècle, une partie des dessinateurs
s'affranchissent du texte et les premières images indépendantes
apparaissent avec le colportage, placé sous le contrôle
de l'Eglise. Au XIVème, siècle est introduit le
support actuel et définitif du dessin: le papier. Avec
la mise au point du procédé de la gravure sur bois
(xylographie)
vers 1400, l'image devient pour la première fois reproductible
et, grâce à l'abaissement du coût, "démocratique".
L'invention d'un procédé d'imprimerie, la typographie,
par Gutenberg
vers 1440 va quant à elle contribuer au développement
du colportage. Ainsi, progressivement, un certain nombre de procédés
satiriques se développent; le support papier se répand;
des corporations organisées assurent la reproduction et
la diffusion de ce média , qui n'a déjà plus
rien à voir avec les enluminures
du haut Moyen-Age, à l'exception d'un attachement aux thèmes
bibliques. A ce stade, le dessin d'illustration et le dessin d'humour
sont en place. Seules la pertinente indignation, la subtile irrévérence
et surtout la considération pour la chose politique, chères
au dessin de presse, sont absentes des productions graphiques.
1) La représentation
de personnages humains en animaux.
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§2. Le dessin politique et la Réforme
Au
XVIème siècle, les conditions se trouvent réunies
en Europe occidentale pour que l'engagement timoré des
dessinateurs se convertisse en un véritable militantisme.
Les bouleversements politiques, philosophiques, scientifiques
et religieux interagissent avec un corps social dont une grande
partie se voit dotée de moyens d'information et d'expression
autrefois réservés à une minorité
dirigeante. Dans ce contexte qui voit naître la galaxie
Gutenberg (1), almanachs
illustrés, mercures, traités "scientifiques"
mais aussi placards,
libelles, pamphlets
et estampes
satiriques deviennent des tribunes pour les dissidents politiques
et religieux. Certains artistes illustrateurs se révèlent
particulièrement menaçants pour l'autorité
établie et leur entrée effective à cette
époque sur le marché des idées rend compte
d'une véritable (re)découverte de l'efficacité
percutante de l'image sur les masses illettrées. Un événement
proprement "d'actualité" donne le ton: la
Réforme de 1517.
La publication, rendue possible par l'imprimerie, des 95 thèses
de Luther
génère un trouble sans précédent dans
les convictions religieuses, politiques et économiques
européennes. La Réforme séduit, indigne,
divise. Ecrivains de tous poils et illustrateurs sont non seulement
des témoins privilégiés, mais aussi les acteurs
d'une crise qui, en fournissant chaque jour son lot de persécutions,
alimente leurs pamphlets. Leur indignation n'a d'égal que
leur engagement. La prise de position est obligée et l'irrévérence
est devenue monnaie courante. Désormais, le dessin sera
militant, politisé, socialisé et teinté de
contestation. En France, face à cette tradition contestataire
qui se met en place, la réaction de François
Ier est d'instaurer une censure, laquelle sera vite débordée
par le flux d'écrits opposés aux excès de
la noblesse. Il en sera de même de l'Index institué
par l'autorité religieuse catholique. Henri
IV, par contre, se sert de l'image pour glorifier son règne
et combattre ses ennemis.
Une autre conséquence de l'imprimerie et de la diffusion
des images est une série d'innovations dans la forme de
celles-ci. Tandis que l'influence d'arts nouveaux en provenance
de Flandre et d'Italie se fait ressentir dans toute l'Europe et
donne des oeuvres de qualité, des ateliers suisses et allemands
acquièrent une réputation dans le domaine de la
gravure. A
partir de la fin du XVIème siècle, l'imagerie
d'Epinal commence à s'exporter
Quelques auteurs
se font connaître: Pierre Eskrich, Léonard Odet,
Pierre de la Maison Neufve, Jacques le Chaleux, Gabriel de Saconay
et, sous Louis
XIV, cible des Hollandais, le célèbre Jacques
Callot, formé en Italie. Là, le peintre Annibale
Carracci, et même Léonard
de Vinci (voir illustration), dit-on, s'adonnent à
un "art" encore inconnu en Europe, mais qui ne va pas
tarder à faire des émules tels Le
Bernin, William
Hogarth ou Charles
Le Brun: la "caricature"(2) 1)
Selon l'expression de Mac
Luhan. 2) De l'italien caricare qui signifie charger, ce mot
apparaît pour la première fois en 1646 dans un recueil
de "petits portraits chargés" réalisés
par l'un des frères Carracci.
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