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Le site d'Aster, dessinateur humoristique pour la presse d'entreprise


Le dessin et la caricature dans la presse
au travers d'une étude du
Rôle social et de la fonction journalistique des dessinateurs dans la presse quotidienne nationale en Communauté française de Belgique.


Mémoire de fin d'étude de Jean-Philippe Legrand, alias dessinateur Aster
,
présenté en vue de l'obtention du grade de Licencié en Information et Communication présenté à l'Université de Liège en 1998.

Historique de la caricature
La profession de dessinateur
Les dessinateurs dans la presse belge
Utilité et fonction


Partie I : Histoire du dessin de presse

Chapitre II. UNE HISTOIRE DU DESSIN DE PRESSE EN FRANCE

§1. La Révolution de 1789

Les grandes époques du dessin de presse ont toujours coïncidé avec de grands mouvements politiques, sociaux ou culturels. Or, si la Révolution française constitue un jalon incontournable de l'historique du dessin de presse, elle n'en signe pas la gloire, tant s'en faut. De toutes les révolutions, les caricatures ont été employées pour mettre le peuple en mouvement (...) ses effets sont prompts et terribles, écrit Boyer de Nîmes, dans son Histoire des caricatures, publiée en 1791(1). Cela se vérifie à toutes les étapes du processus insurrectionnel, où le commentaire à chaud de l'actualité par les dessins fonctionne tantôt comme arme de propagande, tantôt comme un cri de révolte émanant du peuple. En 1797, le rétablissement d'un régime de censure obligera l'intérêt des caricaturistes à se tourner vers les moeurs de vie, la mode, les innovations techniques et autres choses plus frivoles.
Immédiatement après la prise de la Bastille, la presse elle-même connaît une période d'anarchie, où le déferlement de feuilles de tous bords, permis par l'abolition du privilège royal, défie une censure erratique et corrompue. Il faut écrire, multiplier, diffuser le plus possible. L'information est déversée dans le chaos des mouvements de révoltes et de terreur, et puis consommée "crue", imprégnée de hargne et de grossièreté. Dans le même esprit, les caricaturistes adoptent, comme toujours, la position la moins nuancée et n'hésitent pas à réunir politique et scatologie. Faute de pouvoir s'en prendre à la personne du roi, du moins dans les premiers temps, ils entretiennent un acharnement sur le clergé ainsi que sur Marie-Antoinette, qui fera l'objet des métamorphoses les plus osées. Napoléon, conscient du danger que représente une presse trop libre, prendra toutes les dispositions pour garder le contrôle sur les différents organes de presse, qui deviendront ses outils de propagande.
Il ne pourra néanmoins éviter les railleries de caricaturistes anglais tels que Thomas Rowlandson, James Gillray et George Cruikshank. En France, la détente du Directoire permettra à quatre auteurs de passer à la postérité: Isabey, Vernet, Boilly et Debucourt. Notons qu'en 1789, l'image est toujours une estampe indépendante, un tiré à part. Le perfectionnement des techniques de gravure sur bois et sur cuivre permettent un suivi quasi quotidien, mais il faut attendre 1796 et le procédé de lithographie, mis au point par l'Autrichien Aloys Senefelder, pour les voir s'affranchir des services du graveur. Cette technique est introduite en France en 1802 par Pierre-Frédéric André.

(1) FORCADELL, François, Le guide du dessin de presse, histoire de la caricature politique française, Paris, Syros Alternatives, 1989, p.25.
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§2. La "Révolution des Journalistes" et le "dessin de presse

Madame Anastasie, "la Censure", de GallSous l'impulsion des principaux organes d'information de l'époque, l'une des premières mesures prises par Louis-Philippe dès l'instauration de la Monarchie de Juillet est la consécration de la liberté de la presse (la Charte de 1830), moyennant le cautionnement et le "droit du timbre". Enfin, le champ politique se substitue au registre social en tant que cible privilégiée des dessinateurs. Cette liberté d'expression, jointe aux facilités qu'offre la lithographie, va déboucher sur la publication des deux premiers ténors du genre satirique illustré par Charles Philipon: La Caricature (1830) et Le Charivari (1832). Non seulement Philipon réunit presse et dessin, mais il rassemble autour de lui une pléiade de caricaturistes des plus talentueux que l'on peut désormais nommer "dessinateurs de presse". Il s'agit de Grandville et Daumier ainsi que de Decamps, Traviès, Cham, Despéret, Forest, Gavarni, Devéria, Raffet... L'esprit républicain et frondeur y fait école et l'on y vilipende volontiers l'Église, les Finances, les impôts, la Chambre... à tel point que plusieurs procès sont dressés à l'encontre des caricaturistes. En plus d'une amende, Daumier passera six mois dans une "maison de santé" pour avoir représenté le monarque en Gargantua ingurgitant son royaume.
En 1835, Louis-Philippe décide d'en finir avec tous ces irrévérencieux et fait voter une loi spécifique sur les caricatures, veillant bien à ne pas s'opposer à la Charte de 1830. Selon le ministre-censeur Persil, "(...) l'image n'est pas une opinion ordinaire, c'est une opinion convertie en acte. En somme, frapper au visage et caricaturer, c'est tout un."(2) Elle sera abolie à la révolution de 1848. Ailleurs en Europe, La Caricature et Le Charivari ont suscité la création d'organes similaires: Punch sous-titré London Charivari (1841) en Angleterre (3), le Kladderadatsch (1848), le Berliner Charivari (1847) et, plus tard, le célèbre Simplicissimus (1896) en Allemagne, Il Fieschietto (1848) en Italie, etc.
Le coup d'état de Napoléon III de 1851 signe un retour au pouvoir autoritaire où toute contestation est bannie et où toute velléité de critique disparaît, hormis quand elle vise les autres gouvernements (notamment dans la guerre de Crimée en 1854). Malgré ces restrictions qui tomberont après l'épisode de la Commune de 1871, Philipon fonde en 1856 Le Journal amusant, qui réunit les artistes Grévin, Bertall, Riou, ainsi que le grand Gustave Doré. Figure de proue du dessin de presse sous le Second Empire, Doré se pose en véritable précurseur de l'humour noir et, comme les autres dessinateurs de son époque, il illustre plusieurs chefs-d'oeuvre de la littérature: Contes drolatiques, Don Quichotte, Le Paradis perdu, Atala... André Gill (4), illustrateur de Rocambole, dont le journal La Lune a été interdit, connaît un vif succès avec un titre qui "coule de source": L'Éclipse (1868). Puis apparaissent La Charge (1870) d'Alfred Le Petit, La Caricature politique de Pilotell (1871), Le Sifflet (1872), Le Grelot, Le Triboulet, Le Droit au Peuple, etc. Bien entendu, la presse satirique ne représente qu'une partie de la presse d'information générale qui utilise tout de même abondamment l'illustration - songeons au Petit Journal (1863) de Moïse Millaud - dont le succès n'est pas indépendant de l'illettrisme - toujours fort répandu à l'époque.

(2) MELOT, M., cité par BREBANT, Frédéric, Profession: Reporter-dessinateur. Le dessin politique dans la presse nationale française des années 80, mémoire de fin d'études, IHCS, Mons, 1990, p.11.
(3) La caricature de presse est appelée political cartoon en Angleterre et editorial cartoon aux États-Unis.
(4) Auteur de cette illustration de la censure ("Madame Anastasie").

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§3. L'âge d'or du dessin de presse

La réputation de la presse française à la fin du XIXe siècle n'est plus à faire. Sa croissance exponentielle entamée après "Révolution des journalistes" connaît un dernier sursaut avec la loi du 29 juillet 1881 qui supprime toute censure et tout délit d'opinion. Cette libéralisation tant attendue déclenche une authentique explosion de journaux de tous bords et de toutes tendances: socialistes, anarchistes, anticléricaux, antimilitaristes, antiparlementaristes, etc. Cette diversification est due, en partie, à une série de scandales et de crimes: Boulanger, Panama, Landru, Dreyfus ... À la fin du siècle, on ne dénombre pas moins de 250 journaux satiriques paraissant simultanément: Le Rire(1894), Le cri de Paris (1897), Le Sourire (1899), L'Assiette au beurre (1901), Le Canard Sauvage (1903), Fantasio (1906)... Ceux-ci sont illustrés par des caricaturistes de renom tels que Léandre, Forain, Caran d'Ache, Toulouse-Lautrec, Willette, Grandjouan, Delannoy, Valloton, Iribe...
Dans les luttes qui opposent ses auteurs, le dessin de presse atteint comme un apogée qui se traduit tant dans son graphisme que dans la violence des idées. L'outrance et le parti pris ne connaissent plus aucune limite, et la grivoiserie, appréciée par la société de la "Belle époque", aurait de quoi en étonner plus d'un aujourd'hui. Il faut attendre la guerre de 1914 pour voir ces divisions blindées de dessinateurs écumants, féroces, acerbes (5) s'unir contre l'ennemi allemand. Le crayon, devenu l'arme d'une contestation vitriolée entre compatriotes, se transmue en un authentique outil de propagande, propre à glorifier le vaillant poilu s'acharnant sur la brute sanguinaire et coupeuse de mains. La presse satirique est une fois encore aux avant-postes avec ses bataillons de tireurs d'élite (Steilen, Gus Bofa, Poulbot, Jossot, Ricardo Florès, d'Ostoya, Jouve...) retranchés dans leurs fortins aux noms peu sérieux et pourtant évocateurs d'une devise navrante: "Honneur, Patrie, Boucherie". Citons La Baïonnette, La Tranchée républicaine et, en 1916, Le Canard enchaîné (de Maurice et Jeanne Maréchal, qui va devenir une véritable école du dessin de presse). Des titres voient le jour dans les tranchées: Le Crapouillot, Le Tord Boyau, Les Mains dans les Boches, La Saison à Grenades, L'Antiseptique, Le Boche-Scout, Le Cafard n'a homme, L'Echo-rit-dort, Rigolboche ...
À l'issue du conflit, malgré la grande désillusion et les maux qui suivirent, c'est un esprit "rose bonbon" qui se substitue à celui, frondeur et vengeur, qui avait prévalu jusqu'alors. Les "années folles" sont ainsi peu propices à la contestation vitriolée et ce, jusque dans les années '30 où l'opposition des idéologies de gauche et de droite stimule le dessin politique engagé. Malgré l'arrivée en masse de la photographie sur le marché de l'illustration, les grands organes de presse continuent d'accorder une prépondérance aux productions de Grove, Ferjac, Monnier, Moisan, Effel, Guérin, Sennep, Sempé, Dubout... La Seconde Guerre mondiale, on le sait, ne facilitera pas le déploiement des esprits contestataires. La presse clandestine n'étant pas à même d'offrir des revenus suffisants, ces mêmes caricaturistes devront choisir entre l'abstinence ou la collaboration avec l'occupant. Une majorité optera pour la première solution et se contentera d'un dessin humoristique à caractère social.

(5) STERNBEG, Jacques et DEUIL, Henri, Un siècle de dessins contestataires, éd. Denoël, Paris, 1974, p. 59.
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§4. Le cartoon

Le réveil du dessin de presse après la Seconde Guerre mondiale n'est pas brutal. Un gouvernement de redressement national appelle à la réunion de toutes les forces vives. Le climat n'est donc pas à la satire licencieuse et lapidaire, telle que pratiquée dans L'Assiette au beurre et nombreux sont les dessinateurs qui se tournent vers le dessin d'humour. Comme dans bien des domaines après la libération, l'innovation en matière de dessin d'humour dans le graphisme et dans les procédés ironiques naît sous l'impulsion des Américains. En 1945, une exposition de "cartoons" du New-Yorker ( créé en 1925) organisée à Paris par l'ambassade américaine, révèle un style résolument neuf, fait d'absurde, de non-sens, d'humour noir. Ses représentants se nomment Virgil Partch, James Thurber, Chas Addams, Gahan Wilson, Peter Arno.
Ces dessinateurs cultivent un trait beaucoup plus libre et dépouillé. Ils exploitent des techniques que l'on dit "en avance de 15 ans" tels que le collage, la surimpression, le pointillisme, le cubisme, etc. La même année, tandis que l'on redécouvre le surréaliste Maurice Henry, le Roumain naturalisé américain Saul Steinberg (auteur de l'illustration) publie un recueil de dessins avant-gardistes: All in line. De ces deux auteurs imprégnés de l'exotisme d'outre-Atlantique, de nombreux dessinateurs dont Chaval, Mose, Siné, Sempé, Bosc, reconnaîtront l'influence. Par rapport à l'Angleterre et à l'Allemagne qui avait vu s'illustrer, dans l'entre-deux-guerres, un certain nombre de précurseurs (Leslie Starke, Ronald Searle, Ralph Steadman à Punch, Adolph Oberlander, Paul Weber, Heinrich Kley, George Grosz à Simplicissimus), l'apport américain connaîtra un succès particulier en France par la rupture radicale opérée dans les codes du dessin de presse et d'humour, désormais synonymes de "cartoons". Comme le dit M.Melot, c'est en bousculant les vieilles plaisanteries à la française", épuisées et affadies, qu'ils ouvrirent la voie à un humour cruel, corrosif, dérangeant, auquel puiseront tous les jeunes dessinateurs de la génération qui explosera en 1968."(6)

(6) MELOT, M., cité par BREBANT, Frédéric, Profession: Reporter-dessinateur. Le dessin politique dans la presse nationale française des années 80, mémoire de fin d'études, IHCS, Mons, 1990, p.15.
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§5. La génération Hara-Kiri - Charlie Hebdo.

Les évolutions du dessin de presse, comme nous l'avons constaté, sont le fait de grands bouleversements sociaux, politiques et culturels. Les années 60 sont à ce titre exemplaires. Réveillés en sursaut par une actualité chaude (déchirement de l'union nationale, mouvements estudiantins et ouvriers, guerres d'Indochine, d'Algérie, du Viêt-Nam, tension Est-Ouest...) la contestation, l'antimilitarisme et l'anarchie gagnent tous les milieux où l'on sait faire usage de la liberté d'expression. Une presse particulièrement engagée se met en place autour de dessinateurs tels que Siné, Cardon, Soulas, Gébé, Reiser, Wolinski, Cavanna, Cabu, Topor, Fournier, Willem, Flip, Malsen... afin de juguler le tort causé par une plante qui fait rage: "la chienlit".
Le ton est donné en 1960 par Hara-Kiri, le mensuel "Bête et méchant", fort inspiré à ses débuts du Mad américain, et qui se revendique comme le journal le plus violent et contestataire du pays. Tiré à 210.000 exemplaires en 1966, année de sa première interdiction, il se révélera un véritable tremplin pour toute une génération de dessinateurs politiques. Avec Siné Massacre (1962) et L'Enragé (1968), la plaisanterie scatologique qu'inspire la res publica atteint une sorte de sommet, l'information n'y a presque plus sa place, tout dans la presse satirique n'est que polémique, humeur et dessin. En 1970, une nouvelle interdiction du Ministre de l'Intérieur condamne les auteurs de Hara-Kiri Hebdo (1969) . On se rappellera la couverture suicidaire devenue si célèbre, et qui titrait : "Bal tragique à Colombey: 1 mort". Ceux-ci reviennent aussitôt sur la scène médiatique, dans un esprit tout autant irrévérencieux, dans un nouvel hebdomadaire: Charlie-Hebdo.
Les années septante s'avèrent nettement moins fertiles en journaux illustrés: d'une part, de nombreuses tentatives de lancement sont très vite avortées (Satirix, Politicon, Le Père Denis...), d'autre part, la télévision étant popularisée, le public se détourne plus en plus de la presse écrite, y compris celle d'opinion et de divertissement. Le début des années quatre-vingt marque un certain retour à la morale ainsi que l'extension de la tradition du dessin de presse à la presse régionale, qui s'était montrée jusque là peu friande.

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§6. La caricature aujourd'hui [texte rédigé en 1998] : un culte

Aujourd'hui [texte rédigé en 1998], malgré la désaffection du public pour la presse écrite en général, qui se traduit par l'agonie de la presse satirique et la difficulté pour les entreprises à faire appel aux caricaturistes, le dessin de presse n'a pas perdu ses lettres de noblesse. Quelques titres leur accordent toujours une place prépondérante: Charlie-Hebdo (Willem, Charb, Gébé, Luz, Bernar, Wolinski, Riss, Tignous, Cabu...) et Le Canard Enchaîné (Lefred-Thouron, Pétillon, Wozniak, Kerleroux, Cardon, Pancho, Delambre...). Enfin, la presse quotidienne et hebdomadaire perpétue sa tradition datant du tout début de ce siècle qui est d'ouvrir ses pages à des dessinateurs de talent: Plantu, Konk, Pancho, Pessin, Serguei ainsi que plusieurs dessinateurs étrangers au Monde (qui n'utilise toujours que très rarement les photographies), Faizant, Dobritz, Calvi au Figaro, Loup, Willem, Luz, Soulas, à Libération. Remarquons pour terminer que dans cette "histoire de la caricature en France", beaucoup de grands du dessin d'humour - et d'autres du dessin de presse - n'ont pas étés cités ( Topor, Brétecher, Piem, le trio Mulatier-Morchoisne-Ricord,..) mais il est indéniable que ceux-ci constituent, autant que les "dessinateurs de presse", des modèles pour les dessinateurs actuels.
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feutre noir : "Aster" - (Jean-Philippe Legrand) - Cartooniste/dessinateur freelance depuis1999, Licencié en Journalisme - Prestations internationales.
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